Ressources

(R)évolution dans la healthtech : les laboratoires pharmaceutiques doivent prendre les commandes

Hier : les modèles économiques traditionnels des laboratoires pharmaceutiques


Historiquement, les laboratoires pharmaceutiques soignaient et aidaient les patients à vivre mieux en développant de nouveaux médicaments grâce à un investissement dans la R&D, un processus coûteux pouvant prendre plus d’une décennie, puis en transformant ces molécules en produits conditionnés. Ces produits conditionnés étaient ensuite présentés aux professionnels de santé et payés par des payeurs publics, par des compagnies d’assurance privées, par d’autres acteurs ou par les patients eux-mêmes, selon le pays. 

Ce « modèle du médicament vedette » ne permet plus d’atteindre l’objectif global d’amélioration de la vie des patients. Premièrement, le modèle de recherche et de développement de médicaments qui a fait vivre l’industrie pendant tant d’années n’est plus adapté. Bon nombre d’anciens médicaments « vedettes » ne sont plus protégés par des brevets. Et les fabricants subissent une pression croissante dans le but de maintenir les coûts des anciens médicaments à un niveau bas.

En outre, ces blockbusters avaient généralement une indication thérapeutique assez large, quand les nouvelles indications sont, elles, de plus en plus ciblées grâce à de meilleurs outils de diagnostic et au perfectionnement des traitements qui deviennent plus spécifiques. Par exemple, les traitements contre le cancer du sein diffèrent en fonction du sous-type de tumeur (type basal ou luminal) et des biomarqueurs associés tels que HER2, ER, PR, PI3K, PD-1, BRCA, etc. Enfin, les médicaments ont commencé à « se ressembler » et les laboratoires pharmaceutiques ont de plus en plus de mal à se distinguer en développant un nouveau médicament « phare » pour une indication spécifique.

Deuxièmement, alors que les payeurs (compagnies d’assurance et autres) exercent une pression financière sur le système pour lui permettre de fonctionner, les traitements innovants coûtent de plus en plus cher et les conditions d’accès au marché deviennent difficiles avec des exigences de preuve plus strictes.

Troisièmement, les patients, en particulier ceux atteints de maladies chroniques, rencontrent des problèmes d’observance, et les traitements axés uniquement sur des thérapies médicamenteuses, aussi ciblées et innovantes soient-elles, ne peuvent remédier aux carences découlant d’un manque d’observance. Les progrès de la technologie numérique offrent toutefois de nouveaux moyens de répondre aux besoins urgents de ces patients en matière d’accompagnement et de soutien tout au long de leur parcours de soins. Il est désormais crucial d’impliquer les patients dans la prise en charge de leur maladie en adoptant une approche de service centrée sur le patient.

Dans ce contexte, les acteurs de l’industrie doivent se tourner vers l’avenir, en se positionnant non pas comme de simples fournisseurs de médicaments, mais comme des prestataires de solutions d’accompagnement, offrant une multitude de services dans de nombreux domaines, du diagnostic au choix de la stratégie thérapeutique, en passant par la mise en place d’outils d’amélioration du système de soin ou l’évaluation du risque de non-observance.

Les solutions numériques jouent un rôle très important dans cette démarche de changement. Elles permettent de répondre à de nombreux défis, comme l’accompagnement du parcours de santé des patients souffrant de maladies chroniques et la facilitation des tâches quotidiennes des professionnels de santé, tout cela à grande échelle. 

Dans d’autres secteurs, des entreprises comme Netflix et Amazon ont montré comment passer progressivement de la notion de produit à celle de service, et même comment concilier les deux. Leurs outils de personnalisation et leur approche fondée sur les données peuvent inspirer les laboratoires pharmaceutiques, en les aidant à faire évoluer le secteur de la santé vers des services faciles à utiliser à distance, universellement accessibles et, bien sûr, personnalisés pour chaque utilisateur.

Aujourd'hui : une évolution en réponse à l'ère de la personnalisation des services

Un changement important s’est amorcé vers 2006-2010, quand l’approche « beyond-the-pill » a vu le jour. À partir de modèles basés sur les produits (médicaments uniquement), les laboratoires pharmaceutiques ont commencé à introduire des services à valeur ajoutée pour les professionnels de santé, dans l’espoir de faciliter la vie de ceux qui prescrivaient leurs médicaments. Plus tard, leurs stratégies ont été adaptées pour alléger le fardeau des patients, avec le développement des premiers programmes de soutien aux patients (PSP). Le programme Abbvie Care a été l’un des premiers à voir le jour, en 2006. Ce programme innovant fournissait des brochures d’information et proposait des appels infirmier.ère.s et un soutien financier aux patients dans le besoin. Ce PSP a changé la donne, et les laboratoires pharmaceutiques ont depuis évolué, en suivant l’évolution de la technologie.

L’essor des services patients personnalisés et digitaux a eu lieu vers 2016. Les entreprises ont commencé à introduire des assistants virtuels sur leurs sites web et leurs applications mobiles pour faciliter leur utilisation à distance. Ils prennent alors en charge chaque étape du parcours des patients, que ce soit les aspects liés aux médicaments, mais aussi les tâches administratives telles que la prise de rendez-vous, l’admission à l’hôpital, les téléconsultations ou l’amélioration de la transparence du dossier médical. Doctolib, une entreprise française, en est un exemple. Il s’agit d’un guichet unique où les patients peuvent prendre des rendez-vous, consulter et payer un médecin à distance et échanger des documents en toute sécurité avec leur équipe soignante.

L’utilisation efficace de l’IA et des données de santé disponibles est la prochaine grande étape de l’évolution de ce système. Par exemple, Babylon Health utilise l’IA pour aider les médecins et les infirmiers à effectuer le triage et les tâches administratives de manière plus efficace. Les laboratoires pharmaceutiques pourraient s’inspirer de cette entreprise, entre autres, afin de mettre en place leurs propres services personnalisés.

Demain : un nouveau défi passionnant

Si cette tendance se poursuit, nous verrons à l’avenir les patients bénéficier d’un soutien universel à chaque étape de leur parcoursy compris la prévention (maintien de la santé) ainsi que le diagnostic et le traitement des maladies. En matière de prévention, il est par exemple possible d’accompagner les femmes dans leur parcours de santé gynécologique spécifique ou d’aider les nouveaux parents à organiser leurs consultations médicales et leur calendrier de vaccination.

Cette (r)évolution en cours de l’écosystème de santé se heurte à quatre grands défis.

  1. Traditionnellement, les laboratoires pharmaceutiques sont des entreprises fournisseuses de « produits », et le changement proposé de leur modèle économique signifierait qu’ils devraient devenir au moins partiellement des entreprises de « services ». Il s’agit là d’un fossé culturel qui pourrait être difficile à combler au niveau macroéconomique, bien que des travaux soient déjà en cours sur de nombreux fronts au sein de l’industrie pour orienter davantage les stratégies et les opérations financières vers les services.

  2. Le deuxième grand défi consiste à intégrer davantage l’expertise numérique dans l’industrie pharmaceutique, dont le mode de fonctionnement et la base de connaissances sont très différents de ceux des entreprises technologiques. Ce défi consiste notamment à trouver des moyens d’intégrer efficacement les données patients issues de leur usage d’outils digitaux aux méthodes de travail standard. L’industrie pharmaceutique devra devenir plus souple, plus innovante et plus proactive. Les mentalités doivent également changer : alors que les laboratoires pharmaceutiques peuvent être habitués à penser à plus long terme (le développement d’un médicament après la découverte d’une molécule utile prend, par exemple, 10 à 15 ans), les délais sont beaucoup plus courts dans les technologies de l’information.

  3. Troisièmement, les politiques et réglementations gouvernementales devront être revues pour permettre aux laboratoires pharmaceutiques d’évoluer vers un modèle de services. Dans leur état actuel, de nombreuses réglementations empêchent les laboratoires pharmaceutiques de développer des services incluant leurs médicaments.

  4. Enfin, comme indiqué plus haut, les remboursements médicaux et par les assurances varient fortement selon les pays. Cependant, dans de nombreux pays, les services sont beaucoup moins remboursés que les produits, voire pas du tout. Ce modèle économique devra être entièrement revu s’il veut se maintenir. Ce sujet est, sans surprise, trop complexe pour être abordé en détail dans le présent document, mais il est clair qu’une solution doit être trouvée dans chaque pays pour faire face à ce dilemme. En Allemagne, la loi sur la santé numérique[1], qui permet aux médecins de prescrire des applications certifiées pour les besoins spécifiques des patients et fournit des fonds pour développer l’industrie, est un exemple de service soutenu par le gouvernement. En France, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a mis en place des espaces numériques de santé individuels pour les patients[2] et un réseau (RESAH) afin de faciliter l’accès aux solutions numériques pour les gestionnaires de matériel hospitalier[3].

A l'avenir : les laboratoires pharmaceutiques pourraient être le moteur de la (r)évolution de la Healthtech

La (r)évolution du système de santé est en marche et inévitable, car les habitudes des consommateurs, leur utilisation des services et leurs attentes continueront de changer. Les laboratoires pharmaceutiques doivent suivre le mouvement.

En réalité, ils ne doivent pas seulement suivre, ils doivent ouvrir la voie. Nous sommes convaincus que les connaissances de base et l’expérience des tenants et aboutissants des différents systèmes de santé dont disposent déjà les laboratoires pharmaceutiques les placent dans une meilleure position que les GAFAM, ou d’autres acteurs technologiques qui viennent d’accéder au secteur de la santé, pour créer un pont entre les patients/professionnels de santé et les services numériques. L’objectif général de l’industrie pharmaceutique a toujours été de sauver ou d’améliorer la vie des patients, contrairement aux entreprises technologiques qui ont connu le succès en utilisant les données. Les laboratoires pharmaceutiques pourraient se concentrer sur les patients plutôt que sur les professionnels de santé, tirer parti de la réputation et de l’expertise dont ils disposent et devenir une puissance transformatrice dans le domaine des solutions digitales de santé.

Nous ne prétendons pas savoir comment transformer les modèles économiques des laboratoires pharmaceutiques. Il est clair qu’ils doivent prendre pleinement conscience de leur place dans le monde numérique, en modifiant leurs stratégies commerciales pour se concentrer sur l’innovation en matière de services, et chaque entreprise devra opérer cette mutation vers le digital à sa manière. Néanmoins, forts de nos dix années d’expérience en matière de conseil auprès de l’industrie pharmaceutique pour l’aider à élaborer sa stratégie à l’égard des patients et à se transformer par d’autres moyens, nous sommes convaincus qu’elle a tout le potentiel nécessaire pour devenir un acteur clé de l’écosystème HealthTech, qui connaît une croissance rapide. 

La transformation de l’industrie pharmaceutique se fera de différentes manières, sans qu’on puisse dire laquelle est la meilleure. Certaines entreprises pourraient choisir d’acheter des start-ups pour élargir leur champ d’expertise, tandis que d’autres pourraient procéder à des changements internes, à une évolution forcée de leur structure actuelle. Aucune de ces options ne peut suffire à elle seule, et des innovations inattendues seront certainement apportées.

1 https://www.bundesgesundheitsministerium.de/en/digital-healthcare-act.html

 [2]https://esante.gouv.fr/mon-espace-sante

[3] https://www.resah.fr

 

 

Partager

Lire aussi

Actualités

Observia co-construit une formation sur les programmes patient avec l'IFIS

Success Stories

Vivre sous dialyse : Perceptions croisées des patients et des professionnels de santé

White papers

Beyond DTx: Is Pharma Missing the Bigger Picture in Digital Health?

Accès plateformes