Ressources

Mieux engager les patients dans les solutions de e-santé grâce au nudge

Le nudge : de quoi s’agit-il ?

Les équipes de l’aéroport Schiphol d’Amsterdam ont eu l’idée originale de graver des mouches au fond des urinoirs dans les toilettes pour hommes. Elles se sont aperçues que, si les hommes avaient une cible à viser, les coûts de nettoyage pouvaient être réduits de 80 %.1 Voici un bon exemple de « nudge ». Le concept de nudge est issu du domaine de l’économie comportementale, discipline qui emprunte à l’économie, à la psychologie et à d’autres sciences du comportement afin de mieux comprendre le comportement humain et la prise de décision. Dans les années 70 et 80, Daniel Kahneman et son collègue Amos Tversky ont rédigé plusieurs articles sur le jugement et la prise de décision, qui leur ont valu un Prix Nobel en 2002.2

En 1977, un jeune chercheur, Richard Thaler, se lie d’amitié avec Kahneman et Tversky. En 1980, Thaler publie un article suite à ses travaux menés avec Tversky alliant la science comportementale à l’économie, à une époque où les théories économiques considéraient quasi systématiquement les individus comme des êtres rationnels.3 Thaler lui-même a obtenu un Prix Nobel en 2017.4

Pendant longtemps, le secteur de l’économie a défendu la théorie selon laquelle les préférences des êtres humains étaient stables dans le temps, prévisibles et, surtout, rationnelles. Aujourd’hui, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’économie comportementale soutient l'idée nouvelle que les êtres humains ne sont en fait absolument pas rationnels et que leurs comportements et préférences sont extrêmement variables. En revanche, il est possible d’influencer leurs comportements si on comprend l’origine de ces variations.

Thaler et son collègue Cass Sunstein ont publié un ouvrage à ce sujet, intitulé Nudge, qui a été révisé et mis à jour en 2021.1 Un nudge est un élément « qui modifie de façon prévisible le comportement des individus sans leur interdire aucune option ou modifier de manière significative leurs motivations économiques ». L’intervention doit « pouvoir être simple et facile à esquiver ». Ainsi, les bonnes intentions des individus peuvent être transformées en actions.

Cela devient possible grâce à une « architecture du choix », qui présente des options d’une certaine manière afin d’orienter les décisions. Pour ce faire, les architectes du choix peuvent utiliser les connaissances sur les raccourcis mentaux qu’empruntent souvent les individus. Ces mécanismes constituent l’une des nombreuses heuristiques décrites par Daniel Kahneman et Amos Tversky dans divers articles et plus tard dans l’ouvrage de Kahneman intitulé Thinking, Fast and Slow.5

Ces raccourcis mentaux permettent aux individus de prendre des décisions rapidement, lorsqu’il leur manque des informations, ou lorsqu’ils sont submergés par un trop grand nombre d’informations. Mais les décisions prises de cette manière sont souvent subjectives ou ne servent pas nécessairement leur intérêt. Quelques-unes de ces heuristiques sont présentées en fin d’article.

Outre les mouches gravées dans les urinoirs mentionnées plus haut, plusieurs autres espaces publics ont utilisé l’architecture du choix en vue d’influencer le comportement des individus, soit pour le bien de chacun, soit pour le bien collectif. Les cages d’escalier ouvertes peuvent encourager les interactions au travail et la marche.1 De la même manière, les marches en forme de touches de piano dans le métro de Stockholm incitent les gens à prendre les escaliers plutôt que les ascenseurs.6 Les aliments placés au niveau des yeux sont plus susceptibles d’être choisis dans un rayon de magasin ou un buffet.1 Les nudges et l’architecture du choix existent également dans le secteur de la santé, et leur présence s’est développée depuis le début de la pandémie.

Pourquoi utilise-t-on les sciences comportementales, et en particulier les nudges dans les solutions e-santé ? 

L’objectif de toute solution de e-santé est d’avoir un impact positif et durable sur la vie des patients. Compte tenu des biais que nous avons tous, pour améliorer la qualité de vie des patients, nous devons les aider à adapter leur comportement de sorte qu’il leur soit systématiquement plus favorable. Grâce à des nudges soigneusement sélectionnés, nous pouvons ainsi aider les patients à prendre de meilleures habitudes, à mieux suivre leur traitement et à s’engager davantage dans leur programme. Enfin, nous pouvons réduire les comportements à risque ou non bénéfiques et ainsi améliorer la santé préventive.

L’absence de feedback immédiat suite à des décisions saines ou néfastes constitue un obstacle à la prise de bonnes décisions pour les patients. Il existe certainement des réactions sur le long terme, mais elles ne sont pas assez étroitement liées au comportement initial pour pouvoir avoir un effet dessus. De nombreuses décisions prises dans le secteur des soins de santé ont un impact significatif sur la vie des patients, mais n’offrent aucun retour d’informations, ou bien le retour immédiat peut être à l’opposé des effets à long terme. Par exemple, le fait de manger une part de gâteau au chocolat est très agréable sur le moment, mais l’abus de gâteau au chocolat sur le long terme peut conduire à du surpoids.

L’exercice physique est difficile, surtout lorsque vous essayez d’établir une routine, mais les avantages sur le long terme sont nombreux.

Grâce aux nudges, les solutions de e-santé peuvent capitaliser sur les biais pour influencer les patients de manière douce et non restrictive et leurs faire prendre les meilleures décisions possibles pour leur santé jour après jour, tout en leurs laissant une totale liberté de choix.

Du bon usage du nudge en e-santé

Les nudges peuvent favoriser un engagement pérenne tout au long d’un programme de e-santé, et ce dès le premier jour, lors de l’inscription. Avant même cette étape, des nudges peuvent être utilisés pour sensibiliser les patients aux solutions de santé numériques et faciliter leur intégration au quotidien. En faisant bon usage de l’architecture du choix, les bons comportements peuvent être favorisés par rapport aux comportements suboptimaux, ce qui permet aux patients de contrôler leur propre santé.

Après une période initiale de forte motivation à suivre un programme de e-santé, on constate souvent une période de relâchement, au cours de laquelle le risque de décrochage est élevé. C’est là que les nudges peuvent s’avérer particulièrement importants pour aider les patients à maintenir leur engagement. Pour cela, le renforcement positif et les retours immédiats (feedbacks) sur l’engagement continu des patients peuvent s’avérer efficaces.

Les nudges et l’architecture du choix doivent être conçus en tenant compte du comportement et des prédispositions des êtres humains. Comme nous l’ont enseigné les spécialistes en sciences du comportement au cours de ces dix dernières années, les êtres humains ne se comportent pas toujours de manière rationnelle, mais de façon plutôt prévisible. De plus, sans surprise, deux individus pourront se comporter différemment dans une même situation. Pour relever ce défi, Observia a conçu un outil de diagnostic comportemental appelé SPURTM, qui permet de mieux comprendre la personnalité et le comportement individuel de chaque patient.

Ces informations sont ensuite transformées en actions à l’aide de d.tells™, un moteur intelligent qui personnalise les solutions de e-santé selon les besoins de chaque patient afin d’inciter au mieux la personne à adopter à un mode de vie le plus sain possible.  

Les nudges appliqués aux biais universels

Comme mentionné plus tôt, les travaux de Kahneman et Tversky, y compris l’ouvrage de référence de Kahneman intitulé Thinking, Fast and Slow,5 ont défini un certain nombre d’heuristiques, c’est-à-dire des raccourcis cognitifs que nous utilisons tous dans notre quotidien, souvent sans nous en apercevoir. Ces heuristiques peuvent contribuer à l'élaboration de nudges en nous offrant un aperçu de l’irrationalité des êtres humains. Leur modèle global de prise de décision est connu sous le nom de « théorie des perspectives »lorsque nous prenons des décisions ou faisons des prévisions à propos d’un avenir incertain, nous avons tendance à surestimer les pertes et à sous-estimer les bénéfices.

Les conséquences négatives de nos actions auront davantage d’effet sur nos décisions que des résultats positifs équivalents.

Si les effets secondaires d’un médicament sont désagréables, mais que ses avantages pour le patient l’emportent sur ceux-ci, le patient peut avoir besoin d’encouragements supplémentaires pour pouvoir estimer avec précision ce rapport coût/bénéfice.

Par exemple, au lieu d’expliquer les effets secondaires d’un médicament par rapport à ses avantages, le fait de citer les risques liés au non-respect du traitement (résultat négatif potentiel) et les avantages liés à son respect peut encourager un patient plutôt réticent à prendre son traitement.

L’une des heuristiques les plus courantes, particulièrement pertinente pour le secteur de la santé, est « l’heuristique de disponibilité » — selon laquelle nous estimons la probabilité d’un événement sur la base de la facilité avec laquelle nous pouvons l’imaginer, et non sur sa probabilité objective. Si le patient ne peut pas imaginer facilement un résultat donné — peut-être tout simplement parce que celui-ci échappe à son expérience — son comportement sera motivé par cette idée fausse. Par exemple, pour convaincre des patients de prendre un nouveau traitement, de fréquentes incitations leur rappelant l’importance du traitement et les conséquences en cas de non-respect de celui-ci peuvent s’avérer nécessaires. Il est également possible de leur montrer des témoignages d’autres patients qui se trouvent dans des situations similaires afin d’augmenter l’impact des messages.

En règle générale, les gens veulent prendre soin d’eux ; ils souffrent juste d’un autre phénomène appelé « épuisement du moi » — c’est-à-dire le fait que nous ayons tous une volonté ou une concentration limitée. Si une personne use de sa volonté dans son quotidien, comme sur son lieu de travail ou pour prendre soin d’autrui, elle disposera de moins de volonté pour sa propre santé. Les incitations destinées à aider les patients dans cette situation peuvent inclure des rappels automatiques de rendez-vous ou de prise de médicaments et des notifications propres à l’état de santé d’un patient, comme des avertissements sur la qualité de l’air pour une personne qui souffre d’asthme.

L’intégralité de l’expérience devrait être rationalisée, afin de réduire au minimum le nombre d’interactions requises de la part de l’utilisateur. Les patients doivent constamment avoir en tête leurs tâches quotidiennes, que ce soit pour suivre un régime alimentaire particulier, pour adopter un nouveau style de vie, ou simplement pour se tenir informés de multiples rendez-vous médicaux. C’est pourquoi les nudges sont particulièrement adaptés et ont un impact important sur les soins de santé.

 

 

 

 

Partager

Lire aussi

Actualités

Observia co-construit une formation sur les programmes patient avec l'IFIS

Success Stories

Vivre sous dialyse : Perceptions croisées des patients et des professionnels de santé

White papers

Beyond DTx: Is Pharma Missing the Bigger Picture in Digital Health?

Accès plateformes