Les thérapies numériques (DTx) : promesses et enjeux
Les thérapies numériques (ou Digital Therapeutics - DTx) pourraient révolutionner le secteur de la santé. Mais que sont exactement les thérapies numériques ? Quels types de normes doivent-elles respecter ? Dans quelle mesure varient-elles d’un pays à l’autre et comment les gouvernements appliquent-ils ces normes ? Faisons le point sur ces nouveaux outils de soin digitaux, y compris leurs origines, leur état actuel et leur avenir éventuel.
Thérapies numériques : de quoi parle-t-on ?
Les interventions médicales via des appareils connectés à Internet ont vu le jour au début du siècle. C’est sur celles-ci que s’appuient les thérapies numériques (DTx). Ces dernières utilisent une combinaison de logiciels, de synchronisation sécurisée des données et d’intelligence artificielle pour assurer des interventions thérapeutiques, fondées sur des données validées scientifiquement, dans le cadre de la prise en charge d’une pathologie.
Plus important encore, elles nécessitent l’examen et l'approbation d'un organisme de réglementation, comme pour un médicament ou un dispositif médical.
L’omniprésence grandissante des smartphones ces dernières années a permis d’étudier plus précisément ce potentiel qu’ont les DTx d’être largement et facilement accessibles. Avec cette accessibilité croissante, la nécessité d’avoir des normes et des réglementations de plus en plus strictes est également devenue évidente.
Quelles législations encadrent les thérapies numériques ?
Une norme européenne
Les thérapies numériques doivent respecter les mêmes normes strictes que toute autre intervention médicale, pharmacologique ou autre. De nombreux pays ont adopté une législation visant à établir des catégories réglementaires pour toutes les technologies de santé numérique. Celles-ci doivent subir des essais cliniques approfondis, qui comprennent souvent des essais contrôlés randomisés, et démontrer leur sécurité, leur efficacité, leur qualité, leur orientation patient, leur respect de la vie privée et leurs répercussions cliniques durables.
En Europe, tous les produits de thérapie numérique sont régis par la réglementation sur les dispositifs médicaux,[i] de sorte qu'ils doivent être munis d'un marquage CE, qui indique qu'ils répondent aux normes européennes en matière de santé, de sécurité et d'environnement.
Ils doivent également respecter les exigences relatives à la sécurité des données du RGPD. Depuis janvier 2022, dans la majeure partie du Royaume-Uni, ces produits doivent être munis du marquage UKCA en guise d’alternative au marquage CE (ou en complément de celui-ci).[ii]
Normes et initiatives nationales
En outre, chaque pays dispose de son propre organisme de réglementation, chargé d’approuver les DTx et des initiatives nationales différentes ont été lancées.
L’Allemagne
En Allemagne, ces thérapies doivent respecter les normes de l'institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux (BfArM).[i]
Ce pays a ouvert la voie en adoptant des politiques gouvernementales visant à encourager le développement et l'innovation des applications de santé numérique (acronyme allemand : DiGA). En 2019, l'Allemagne a approuvé la loi sur les soins de santé numériques (Digital Healthcare Act), qui autorise une procédure accélérée d’évaluation des applications pouvant être prescrites par des médecins ou des psychothérapeutes.[ii] Ces applications doivent toujours respecter des normes strictes de sécurité et d'efficacité cliniques : pour pouvoir être approuvées, l'état de santé d’un patient ou sa capacité à faire face à sa maladie ou sa pathologie doit être amélioré(e) par l'utilisation des DiGA.
La France
En France, les produits de thérapie numérique doivent être approuvés par la Commission Nationale d’Evaluation des Dispositifs Médicaux et des Technologies de Santé (CNEDiMTS), et doivent respecter des exigences de sécurité des données en plus du RGPD.[iii]
Bien qu'elle ne dispose pour l’instant d’aucun processus global de remboursement, la France travaille sur un système similaire. L’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 a introduit un dispositif de réorganisation du mode de financement et de remboursement des soins de santé afin de les optimiser en fonction des technologies et infrastructures actuelles, et d’encourager l’expérimentation et l’innovation. Les projets d’essais pré-cliniques qui démontrent un potentiel élevé pourront bénéficier d’un financement pour le développement des innovations,[iv] le gouvernement prévoit d’ailleurs une liste de logiciels remboursés d’ici la fin de 2022.[v]
Le Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, les DTx doivent respecter les critères d'évaluation des technologies numériques définis par le National Health Service (NHS).[vi] En outre, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) a défini un cadre normatif de preuves pour l'évaluation des thérapies numériques.[vii]
Quels autres types de thérapies numériques existent déjà ?
Aux Etats-Unis
Les États-Unis ont été le premier grand marché pour les interventions de santé numérique, avant la mise en place d’un quelconque cadre d’homologation. Le système DiabetesManager de WellDoc a été l’une des premières applications à avoir reçu l’approbation de la FDA en 2010. Livongo est un autre exemple un peu plus récent - son programme de surveillance du diabète a été lancé en 2014, et alliait un lecteur de glycémie connecté à une application et des éducateurs certifiés en matière de diabète.
Au départ, le marché ciblé était d'autres entreprises, c'est-à-dire des employeurs et des compagnies d'assurance. Livongo a été acquis par le géant de la télémédecine Teladoc en 2020 dans le cadre de l'une des plus grandes fusions de l'année, mais on ne sait pas encore quel sera l’impact de cette alliance sur le marché.[i]
En 2017, le produit de Pear Therapeutics, reSET®, qui traite les troubles liés à la consommation de psychotropes via l’usage de techniques de TCC (thérapie comportementale cognitive), a été la première thérapie numérique à être homologuée par la FDA afin d’améliorer le suivi des maladies. En 2020, la FDA a approuvé son premier jeu vidéo prescrit sur ordonnance, EndeavorRx by Akili Interactive, qui vise à améliorer l'attention des enfants atteints de TDAH.[ii]
Pour faire face à cette demande croissante, la FDA a créé un Centre d’excellence de la santé numérique qui propose une aide et des réseaux aux patients, aux prestataires de soins, aux développeurs de thérapies numériques, aux chercheurs, aux donneurs d’ordre et aux organismes de réglementation, entre autres. Ce centre vise à renforcer l'expertise en matière de santé numérique au niveau gouvernemental, à moderniser les politiques et à créer un parcours de pré-certification pour les thérapies numériques, en suivant éventuellement le modèle de l'Allemagne.[iii]
Parmi les fabricants de produits de thérapie numérique particulièrement créatifs sur le marché figure Propeller Health, qui a développé un moyen de connecter les inhalateurs de Ventoline® à des smartphones, en combinant les données relatives au traitement médical à la qualité de l'air afin de réduire les crises d’asthme; Cognoa, qui facilite le diagnostic précoce de l'autisme et le passage du diagnostic à la recherche de thérapies comportementales et d’une assistance adaptées; et Luminopia, qui améliore la vision chez les enfants atteints d'amblyopie grâce à des émissions de télévision modifiées et un casque de réalité virtuelle.[iv]
En Europe
En Europe, la première thérapie numérique à avoir été remboursée par un gouvernement, en juin 2020, est Moovcare, développée par une entreprise franco-israélienne qui accompagne les patients atteints d'un cancer du poumon dans leur parcours de soins. Grâce aux rapports quotidiens transmis par le patient et qui décrivent ses symptômes, Moovcare alerte l'équipe médicale lorsque son intervention est nécessaire. Dans le cadre d’un essai clinique, cette solution a permis d’augmenter le taux de survie des patients atteints d’un cancer de plus de 7,6 mois par rapport aux témoins, et d’améliorer également leur qualité de vie.[i]
Depuis, les gouvernements européens se sont mis rapidement à la tâche afin d’approuver d'autres applications ; l'Allemagne compte actuellement 28 DiGA répertoriées dans son guide, qui traitent des problèmes médicaux et des affections telles que la dépression, le stress et le burn-out, la sclérose en plaques, les crises de panique et les phobies, entre autres. Au Royaume-Uni, le NHS prévoit de recommander des applications directement sur son site internet, une initiative qui reste à mettre en place.[ii]
Une application à la santé mentale
Les produits de thérapie numérique peuvent traiter différents problèmes de santé physique mais également mentale. Un grand nombre de ces interventions repose sur des techniques issues de la thérapie comportementale cognitive (TCC), qui était une thérapie novatrice en soi. Son fondateur, le Dr Aaron Beck, a été l'un des premiers à appliquer des techniques d'évaluation médicale, telles que des essais cliniques randomisés, à la psychothérapie.[i] La TCC a depuis été reconnue comme une thérapie efficace dans le cadre de nombreuses études, et peut être pratiquée à distance, ce qui la rend idéale pour l'adaptation/l'intégration à de nouvelles interventions par thérapie numérique.
Dans un contexte de prise en charge de la santé mentale, en plus de proposer un soutien pour vaincre les dépendances, les thérapies numériques peuvent aider les patients à faire face à la dépression et à l'anxiété, voire compléter un traitement holistique pour des problèmes tels que l'insomnie. Elles pourraient être utilisées pour le dépistage chez les populations à risque, comme pour la dépression post-partum chez les nouveaux parents, par exemple. Pour les patients atteints d’affections multiples ou complexes, l’assistance numérique peut être essentielle à la coordination de leur équipe de soins. Une telle coordination pourrait réduire la charge de travail de l'administration hospitalière tout en améliorant les résultats pour les patients.
En résumé, les maladies chroniques qui nécessitent une prise médicamenteuse régulière ou un autre type de traitement ou de suivi constituent un marché idéal pour les DTx. Cela comprend la surveillance des cancers et la prévention des complications postopératoires, le suivi du régime alimentaire et de l’activité physique dans le cadre d’une perte de poids, d’un taux de cholestérol élevé, d’hypertension ou de diabète de type 2, ou encore la gestion de la douleur et de certains troubles psychiques.
Potentiel et enjeux
Les thérapies numériques offrent un formidable potentiel d’amélioration des soins de santé.
Elles sont évolutives – Compte tenu de la prévalence des smartphones et de la maîtrise croissante des appareils et applications connectés, les thérapies numériques pourraient représenter un marché colossal.
Elles réduisent les coûts – En améliorant les soins des patients et en réduisant les complications et les hospitalisations, les coûts des soins de santé pourraient être considérablement réduits.
Elles peuvent améliorer le parcours de soin des patients – L'observance des patients pourrait être améliorée, en étant soutenue par des rappels fréquents sur les raisons, les modalités et la nature de leur traitement. De plus, cette surveillance plus régulière pourrait également aider à alerter les médecins au moment opportun en cas de crise, afin de leur permettre d'intervenir avant que des complications plus graves ne se produisent. Cela est particulièrement important pour les patients qui vivent en milieu rural. Les thérapies numériques peuvent assurer un lien essentiel entre les patients et leurs médecins dans les déserts médicaux. Les DTx peuvent également améliorer les résultats des patients en facilitant le processus de diagnostic, en particulier pour les affections plus rares ; la structure et la vaste base de données des algorithmes d'intelligence artificielle peuvent compléter les connaissances des médecins.
Du fait de leur apparition relativement récente sur le marché des soins de santé, les thérapies numériques ont encore de nombreux défis à relever. Au moment de la rédaction de cet article, leur taux d'utilisation dans l'Union Européenne était faible, ce qui indique que soit les connexions adéquates n'ont pas été créées entre la bonne thérapie numérique et le patient qui en a besoin, soit le système présente une faille fondamentale qui doit être corrigée avant que celui-ci ne puisse être largement adopté. Voici quelques-uns des défis actuels à relever :
Atteindre les publics moins avertis – La part de la population qui a tendance à adopter rapidement les nouvelles technologies adhèrera sans tarder aux thérapies numériques, mais certains patients pourraient avoir besoin d’être convaincus. Et, selon toute vraisemblance, ce sont les personnels de santé qui devront faire le choix de s’approprier la technologie en premier, avant de l'utiliser avec leurs patients. De la même manière, certaines pathologies peuvent être plus adaptées. Les patients qui souffrent d'affections plus aiguës (ex. : traitement d’un cancer) ou atteints d'une maladie chronique depuis plus longtemps peuvent être plus susceptibles suivre une thérapie numérique que ceux moins gravement touchés (ex. : diabète de type 2 au stade précoce).
Engagement – Les thérapies numériques doivent être adaptées aux cultures locales et faciles d’utilisation, sinon les usagers ne les utiliseront pas de manière systématique. Par exemple, pour distribuer une thérapie numérique au sein de l'Union Européenne, celle-ci doit être suffisamment robuste et flexible à la fois pour s'adapter aux différents systèmes de réglementation et aux différentes langues et cultures.
Transparence et fiabilité – Le processus d'évaluation des thérapies numériques doit être clair et démontrer que celles-ci respectent des normes strictes. Il est également important de pouvoir intégrer l’expérience réelle des patients et les mesures de leurs résultats cliniques au fur et à mesure que le marché évolue et qu’un nombre croissant de thérapies numériques est développé.
S’adapter – L’un des autres défis auxquels les prestataires de soins sont confrontés, c’est l’évolution rapide des thérapies numériques. De nombreux pays viennent tout juste d’entamer la phase pilote/de planification en vue d’une réglementation et d’un remboursement normalisés et simplifiés des thérapies numériques, ou n’ont commencé que récemment à rembourser un nombre très limité d’applications spécifiques. Des politiques telles que la loi sur les soins de santé numériques promulguée en Allemagne et la base de données DiGA aideront les médecins à prescrire en toute confiance des thérapies numériques adaptées à leurs patients.
Nous assistons à la naissance d'un nouveau marché prometteur qui pourrait révolutionner les soins de santé, réduire les coûts et proposer des traitements pour un certain nombre de troubles qui provoqueront moins d'effets secondaires que de nombreux médicaments. Plusieurs pays ont déjà modifié leurs politiques afin de simplifier l'adoption des thérapies numériques, et ce travail se poursuit. Les prochaines étapes pour encourager l'innovation, le développement et l'adoption des thérapies numériques vont consister à sensibiliser les patients, les prescripteurs et les donneurs d’ordre, à renforcer la normalisation et la transparence des processus d'approbation, et à proposer des interfaces et des catalogues de thérapies numériques approuvées et faciles à utiliser, comme la base de données DiGA en Allemagne.
Même si les thérapies numériques sont prometteuses, il reste de nombreux défis à relever. Le principal d’entre eux est le faible taux d'utilisation, d’adhésion et d'engagement. L'adhésion et l'engagement exigent une bonne adéquation entre l'intervention et les besoins et souhaits des patients, ce qui signifie que les concepteurs de DTx doivent parfaitement comprendre les capacités physiques et mentales, les besoins et les désirs des patients utilisateurs.
L'intervention en elle-même doit faire l’objet d'accords entre toutes les parties concernées (patients, équipes médicales, donneurs d’ordre, organismes de réglementation, etc.). Il est en outre plus que jamais nécessaire de démontrer son impact clinique quantifiable sur les résultats pour les patients.
Chez Observia, nous ne sous-estimons pas le potentiel des thérapies numériques, loin de là, mais nous les considérons comme un outil parmi d'autres, comme les programmes d'engagement et autres solutions d’accompagnement en matière de santé numérique, qui peuvent être utilisés pour améliorer la vie des patients.
[i] https://www.mobihealthnews.com/news/contributed-dtx-diy-how-can-replicable-clinical-data-help-us-meet-mental-health-demand
[i] https://www.revuepharma.fr/2020/06/moovcare-devient-la-premiere-therapie-digitale-remboursee/
[ii] https://www.nhs.uk/apps-library/
[i] https://www.nsmedicaldevices.com/analysis/what-is-livongo/
[ii] https://www.fda.gov/news-events/press-announcements/fda-permits-marketing-first-game-based-digital-therapeutic-improve-attention-function-children-adhd
[iii] https://www.fda.gov/medical-devices/digital-health-center-excellence/about-digital-health-center-excellence
[iv] https://www.businesswire.com/news/home/20211020005896/en/Luminopia-Announces-FDA-Approval-of-Digital-Therapeutic-that-Uses-TV-Shows-to-Improve-Vision-in-Children-with-Lazy-Ey
[i] https://dtxalliance.org/wp-content/uploads/2022/01/Germany-Regulatory-and-Reimbursement-Pathways.pdf
[ii] https://www.bfarm.de/EN/Medical-devices/Tasks/Digital-Health-Applications/_node.html
[iii] https://dtxalliance.org/wp-content/uploads/2022/01/France-Regulatory-and-Reimbursement-Pathways.pdf
[iv] https://dtxalliance.org/wp-content/uploads/2022/01/France-Regulatory-and-Reimbursement-Pathways.pdf
[v] https://www.editions-legislatives.fr/actualite/la-lfss-pour-2022-et-les-dispositifs-medicaux
[vi] https://www.nhsx.nhs.uk/key-tools-and-info/digital-technology-assessment-criteria-dtac/
[vii] https://www.nice.org.uk/about/what-we-do/our-programmes/evidence-standards-framework-for-digital-health-technologies
[i] https://edps.europa.eu/press-publications/publications/techsonar/digital-therapeutics-dtx_de
[ii] https://www.gov.uk/guidance/using-the-ukca-marking#when-to-use-the-ukca-marking